Peut-on écrire un livre sans images?
Je suis née un jour vert. Depuis que j’en ai pris conscience, à chaque fois que le monde m'échappe, j'utilise cette phrase en guise de couverture et je me dis « quelle absurdité, comment peut-on affirmer que le jeudi est un jour sans couleur ? ». Mais je me contente juste de le penser, si je partageais cette réflexion avec le monde, ce serait eux qui riraient de moi, parce que le jeudi est, pour la majorité des gens, un jour sans couleur.
Pourtant quand on y regarde de plus près, il n’y a aucun de ces deux points de vue qui soit plus juste que l’autre, la majorité n’impose pas ce qui est bon et la minorité ne doit pas s’effacer de peur de paraître trop bizarre. La bizarrerie en question est juste l’ensemble des choses que l’on ne peut saisir chez autrui, s’il était évident que le jeudi puisse être vert chez tous ceux qui ne lui attribuent pas de couleur, alors personne ne serait tenté de passer sous silence cette vision. La bizarrerie ne serait alors plus qu’une différence, c’est-à-dire qu’elle pourra être source d’étonnement, d’admiration, de désaccord peut-être mais pas de persécution. La différence est la face positive de la diversité, les seuls côtés négatifs qu’elle possède sont les connotations péjoratives que nous lui attribuons et que nous qualifions de bizarrerie.
Cependant le passage d’une face à l’autre est aisé : la différence peut au moindre faux pas devenir une source de haine et de dérision et la bizarrerie connaître la gloire lorsqu’elle est enfin comprise. Déceler tous les bienfaits de la diversité est possible si et seulement si notre esprit a soif de découverte.
Le savoir tue l’imagination, tout comme les illustrations d’un livre brouillent les images que nous procurent les mots.